L’UTILISATION DU BON APPEAU AU BON MOMENT
La base même de la chasse printanière au dindon sauvage repose sur le réalisme d’imitations d’appels de dinde, d’où l’importance d’une bonne connaissance et utilisation des différents appeaux disponibles.
Je pouvais entendre le dindon lancer ses vocalises dans les bois loin derrière moi, ses glougloutements de forte résonance presque métallique ayant le don de me faire redresser les poils de la nuque. De toute évidence, ces appels provenaient d’un grand mâle hargneux et expérimenté, le genre à ne pas faire beaucoup d’erreurs…
Initialement, j’avais émis des appels avec un appeau buccal (diaphragme) produisant des sons que je jugeais assez réalistes, mais il semblait bien que leur portée était insuffisante, puisque l’oiseau n’avait aucunement répondu à mes imitations de gloussements (clucks)de dinde effectuées avec cet appeau. Finalement, je retirai l’accessoire de ma bouche et le replaçai dans son étui protecteur avant de l’insérer dans une poche de ma veste où je pourrais le reprendre facilement au besoin. Puis je récupérai d’une autre poche mon bon vieil appeau-boîte Quaker Boy.
Cet appeau m’avait accompagné à chacune de mes sorties de chasse au dindon depuis mes débuts dans les années 1990, le boîtier présentant une teinte délavée et portant des marques d’usure, alors qu’un simple élastique l’entourait pour l’empêcher de faire du bruit au cours de mes déplacements. En position assise, adossé à un grand orme, je retirai l’élastique et plaçai l’appeau sur mon genou et, sachant bien que je devrais utiliser mes deux mains pour l’actionner, je déposai mon arme en travers sur mes deux cuisses, dans une position où elle pourrait facilement être épaulée si un dindon faisait son apparition.
Changement de tactique
En tenant la base de l’appeau dans ma main gauche gantée, j’utilisai ma main droite pour frotter tout doucement le couvercle rotatif sur les rebords de la boîte, le son donnant une remarquable reproduction des glapissements (yelps) d’une dinde: «Hîîp - Hîîp - Hîîp!» La résonance des appels émis avait une importante force de projection, car j’entendis presqu’aussitôt le mâle éloigné répondre par des glougloutements sonores. J’attendis quelque peu avant d’effectuer de nouveaux frottements de mon appeau et, encore une fois, les glougloutements du dindon se firent entendre, semblant provenir d’un peu plus près cette fois. Les battements de mon cœur s’accélèrent pendant que j’anticipais fébrilement la suite des choses.
Au bout d’une attente de quelques minutes supplémentaires, je risquai un autre doux frottement de mon appeau-boîte, et les glougloutements de réponse résonnèrent de façon beaucoup plus rapprochée. Je posai prestement mon appeau-boîte au sol, glissai l’appeau diaphragme dans ma bouche, et portai doucement la crosse de mon arme à l’épaule… Mon appelant de dinde était installé à une quinzaine de mètres devant moi, et un peu sur ma droite, une petite ouverture naturelle dans les broussailles m’apparut comme le point de sortie probable de l’oiseau…
J’émis quelques doux gloussements avec mon appeau buccal et, quelques instants après, la tête blanche chauve d’un dindon mature apparut dans ma vision périphérique. Le grand oiseau gonfla son corps en déployant sa large queue tout en s’avançant majestueusement, dans l’évidente intention de courtiser une dinde fictive qui devait lui sembler particulièrement peu réceptive .Au cours de cette parade, alors que l’oiseau me tournait le dos, je pus ajuster subrepticement la visée de mon arme et retirer le cran de sûreté, puis j’émis un simple gloussement avec mon appeau buccal…
Aussitôt, le dindon étira le cou en tournant la tête, le moment que j’attendais pour presser la détente! Subitement terrassé, l’oiseau battit faiblement de l’aile deux ou trois fois avant de demeurer complètement inerte. C’est le cœur battant que je m’approchai pour admirer de près la magnifique prise, avec sa longue barbe et les grand séperons de ses pattes. Le vieux guerrier avait finalement été leurré par une utilisation mixte de différents appeaux et ainsi attiré vers l’appelant et à portée de mon arme. J’en ressentais particulièrement une grande fierté !
Principaux types d’appeaux
Les lignes qui suivent s’attardent donc à décrire les concepts des principaux appeaux auxquels les chasseurs de dindons peuvent avoir recours, ainsi qu’à aborder les tactiques et les moments propices d’utilisation.
L’appeau-boîte
Ce type d’appeau fonctionne sur un principe ancien et simple, soit le frottement d’une pièce de bois rotative contre les rebords supérieurs d’une petite boîte creuse également en bois. Les sons produits de cette façon peuvent créer une incroyable variété d’imitations réalistes d’appels de dinde, et ces sons ont aussi tendance à produire une résonance plus grande que les autres types d’appeaux disponibles. Les appeaux-boîtes peuvent être confectionnés de différentes variétés d’essences de bois, mais le cèdre représente un bois traditionnel, celui-ci produisant une sonorité de bonne qualité (également utilisé dans la confection de certaines guitares acoustiques).
Comme ce type d’appeau requiert moins d’effort d’apprentissage pour en soutirer un son réaliste, c’est celui choisi par la plupart des débutants. Il s’agit d’établir un bon rythme de courts et doux mouvements de frottements de la pièce de bois rotative pour dupliquer des glapissements (yelps) d’une dinde sauvage. Une fois ce type d’appel bien effectué (on peut contre-vérifier le réalisme de nos appels en consultant plusieurs séquences vidéo sur internet), on peut passer à l’apprentissage des imitations de gloussements (clucks). Ces deux appels sont relativement faciles à réaliser sur un appeau-boîte et représentent en même temps les vocalises les plus communes du vocabulaire des dindons.
Au cours des années, différentes formes et grandeurs d’appeaux-boîtes ont été développées, certains modèles comportant diverses caractéristiques, comme des languettes de couvercles amovibles et remplaçables présentant divers recouvrements et produisant différents sons. Cependant, ce n’est pas seulement l’aspect facilité d’utilisation qui rend l’utilisation de l’appeau-boîte désirable, car ce dernier produit également un son et une tonalité de grande authenticité. Lorsqu’un dindon mâle ne semble pas vouloir répondre aux appels émis par d’autres types d’appeaux ,l’appeau-boîte réussit souvent à provoquer une réponse.
Dans certaines conditions, ce type d’appeau représente parfois la seule option valable, par exemple lors de journées venteuses ou pluvieuses susceptibles de réduire les capacités auditives des dindons. C’est alors que la grande sonorité d’un appeau-boîte peut arriver à capter l’attention d’un oiseau éloigné. La chasse à l’intérieur d’une tente-cache représente une autre situation propice à l’utilisation de l’appeau-boîte, grâce à la grande capacité sonore de ce modèle et au fait que les mouvements d’utilisation de ce type d’appeau risquent moins d’être perçus par le gibier. Certains modèles d’appeaux-boîtes ont même été produits avec une languette de couvercle et des rebords de boîte dotés d’un revêtement de protection d’étanchéité, afin d’éviter la possibilité que l’appeau devienne «aphone» par temps pluvieux.
L’appeau à ardoise
Appelé slate call (en raison de sa surface de friction traditionnellement en ardoise)ou pot call (en raison de sa petite caisse de résonance en forme de pot), ce modèle représente un autre type d’appeau populaire et efficace. Celui-ci comporte trois principales parties, soit la surface de friction (ardoise, verre, aluminium, cuivre ou autre) imbriquée sur une caisse de résonance compacte et de forme arrondie, ainsi qu’un bâtonnet pour effectuer manuellement la friction sur la surface. La caisse de résonance de forme arrondie offre en même temps une prise en main ergonomique.
Certains modèles de ce type peuvent comporter différentes surfaces de friction afin de produire des sons distinctifs de glapissements, de gloussements et de roucoulements (purr). Cependant, en conditions pluvieuses, la surface de friction en ardoise risque de ne pas pouvoir émettre de sons efficaces, ce pourquoi certains modèles avec différentes surfaces de friction sont disponibles. De leur côté, les bâtonnets (strikers) sont disponibles en différents styles et longueurs et composés dedivers matériaux, allant du bois à la matière plastique ou au plexiglas, chacun produisant un type de son particulier.
Ce type d’appeau nécessite normalement une sorte de conditionnement avant l’utilisation, ce qui est souvent méconnu des utilisateurs novices et qui peut facilement devenir une frustration. Le conditionnement représente seulement un gracieux terme pour désigner une petite opération de dépolissage de la surface de friction, ce qui est généralement fait avec un papier à sabler de grade fin (#200), de la craie ou un tampon spécial. En effectuant le dépolissage dans un sens et en y grattant l’extrémité du bâtonnet dans le sens opposé, la friction cause des sons pouvant imiter les gloussements, glapissements et roucoulements d’une manière douce et subtile, typique de ce type d’appeau.
Il ne faut pas utiliser un mouvement circulaire du bâtonnet sur la surface de friction, mais bien de petits mouvements de grattage dans un sens seulement. Si l’extrémité du bâtonnet devient sale ou gommeuse, il est probable que celui-ci ne puisse pas produire des sons de qualité et il faut alors utiliser un papier à sabler à grain fin pour le nettoyer et le dépolir.
En comparaison avec l’utilisation d’un appeau-boîte, celle de l’appeau à ardoise s’avère un peu plus complexe et nécessite généralement plus de répétitions avant d’en obtenir les effets escomptés. Il faut tenir le bâtonnet un peu comme un crayon, avec l’index à une distance d’environ 1 po (2,5 cm) de l’extrémité. Il s’agit alors de pencher le bâtonnet dans un angle de 45 degrés vers l’avant pour faire contact avec l’ardoise et de conserver l’angle et la pression de façon constante lors des mouvements de friction. Il se peut aussi que vous ayez à déterminer le meilleur point de contact sur l’ardoise pour obtenir la sonorité la plus désirable, car différentes surfaces de friction comportent leurs propres particularités en ce sens.
Appeaux buccaux
Même s’il s’avère généralement plus difficile de maîtriser une bonne utilisation d’un appeau buccal, à l’usage ce type d’appeau a gagné une grande popularité et a mérité une bonne réputation d’efficacité et d’aspect pratique auprès des fervents chasseurs de dindons. Aussi appelés appeaux à diaphragme, ceux-ci sont constitués d’un simple support de plastique ou de métal fin en forme de fer à cheval à l’intérieur duquel est tendue une (ou plusieurs) lamelle(s) de latex. Cet appeau est placé contre le palais de la bouche et, en s’aidant d’une certaine pression de la langue sur la membrane, l’expiration d’air produit des vibrations pouvant imiter tous les principaux types d’appels des dindons sauvages.
C’est le filet d’air qui passe au-dessus des membranes qui résulte en des vibrations semblables à celles de l’air passant sur les cordes vocales humaines. Ces vibrations accompagnées de différentes pressions de la langue produisent à la fois le volume et la tonalité de l’appeau. Les appeaux comportant une membrane unique et mince produisent des sons plus clairs, comme ceux d’un jeune oiseau, alors que ceux comportant des membranes multiples résultent en un son un peu plus grave, à l’instar d’un oiseau plus mature. Les membranes présentent souvent une fente ou une encoche qui contribue à ajouter une dimension sonore supplémentaire aux appels émis.
RARES SONT LES EXPÉRIENCES DE CHASSE QUI S’AVÈRENT PLUS SATISFAISANTES QUE CELLE DE LEURRER UN DINDON MÂLE MATURE À L’AIDE D’APPELS AUXQUELS IL N’AURA PAS SU RÉSISTER!
L’appeau buccal ne convient pas à tout le monde et son utilisation présente une plus grande difficulté d’apprentissage pour les chasseurs de dindons débutants. Cependant, lorsqu’il devient nécessaire de se libérer les mains pour produire des appels subtils et invitants à l’adresse de dindons mâles à faible distance, ce type d’appeau représente la meilleure solution.
Il existe sur le marché une très grande variété d’appeaux buccaux et chacun présente une tonalité particulière. En matière d’utilisation, la chose la plus importante réside dans l’entraînement, car plus on se sent à l’aise pour en soutirer les sons les plus désirables en temps opportun, plus l’efficacité des appels y gagnera. Lorsqu’un gros tom(appellation anglaise commune pour désigner un mâle mature) hésitant demeure juste hors de portée de tir de votre arme, l’émission bien maîtrisée de doux et invitants gloussements provenant d’un appeau buccal peut facilement représenter l’élément convaincant permettant une conclusion heureuse de l’affrontement!
En conclusion
Lorsqu’il est question d’efficacité d’appels du dindon sauvage, les techniques présentent une grande variation de possibilités et une partie de cette efficacité ne peut survenir qu’à la suite d’une certaine expérience sur le terrain. Cependant, en connaissant mieux et en apprenant éventuellement à maîtriser les trois types d’appeaux décrits, vous serez en voie d’accéder au succès dans différentes situations de chasse. Et rares sont les expériences de chasse qui s’avèrent plus satisfaisantes que celle de leurrer un dindon mâle mature à l’aide d’appels auxquels il n’aura passu résister!