Le défi de fin de saison
Le chasseur de dindon sauvage doit s’ajuster au changement de comportement de ce gibier s’il désire connaître du succès durant cette période déterminante.
Alors qu’en avril le taux d’hormones chez les dindons grimpe en flèche, au fur et à mesure qu’on s’avance vers l’été, on assiste à un changement parfois drastique de comportement chez ces derniers. Bien que notre saison de chasse soit relativement courte, si on la compare à celles de la majorité des États américains qui s’étalent dans certains cas presque jusqu’en juin, il n’en demeure pas moins que le chasseur québécois peut lui aussi faire face à des agissements d’oiseaux blasés qui laissent perplexe.
À un moment donné, lorsque les dindes sont pratiquement toutes indisponibles ou en train de couver, les dindons deviennent soudainement désemparés et recherchent la compagnie féminine à tout prix, ne ménageant pas les efforts pour trouver « l’âme sœur »… Dans ces moments aveugles de quêtes intensives de partenaires, ils sont alors beaucoup plus vulnérables, voire presque faciles à déjouer, car au moment opportun, une simple sérénade d’appel bien exécutée ou un jeu de leurres disposés au bon endroit au bon moment peut les faire flancher aisément, surtout s’ils n’ont pas subi trop de pression de chasse auparavant. Mais un peu plus tard au printemps, leur devoir de reproducteurs étant largement accompli, ils accusent ensuite une baisse draconienne de testostérone, et à ce moment précis, ils deviennent beaucoup moins coopératifs, voire évasifs, sinon totalement désintéressés.
Bon an mal an, la saison de reproduction chez ces oiseaux s’étale d’avril à juin, et parfois un peu plus. Dans la Belle Province, la chasse se termine vers le 22 mai pour une majorité de zones, et même à cette date relativement hâtive, il est parfois possible de rencontrer des oiseaux qui montrent des signes de fatigue et d’indifférence vis-à-vis du sexe opposé. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il est à ce moment-là impossible de déjouer ces derniers, mais durant ces phases de désintérêt progressif, il faut user d’autres stratégies pour croiser le fer avec ces Casanova en mode préretraite estivale…
Dans cette catégorie de volatiles réfractaires, on peut aussi ajouter au tableau les oiseaux qui ont subi une forte pression de chasse dans les secteurs achalandés et qui, en fin de saison ou même avant, se montrent ainsi complétement désabusés des appels et des appelants. Une approche plus subtile basée sur la logique, tout en sortant des techniques usuelles, est alors la seule façon de pouvoir les mettre au tapis, ou même pour provoquer une simple rencontre à portée de tir.
À la merci des hormones
D’une année à l’autre, selon les humeurs de Dame Nature, la période de reproduction du dindon sauvage peut différer ou être décalée de quelques jours, ou parfois même d’une semaine. Selon la région ou selon d’autres facteurs naturels, comme la température et la pression barométrique, d’après les relevés des biologistes un peu partout en Amérique du Nord, ces oiseaux suivent en général un horaire assez régulier. Les volatiles d’un secteur donné synchronisent simplement leurs efforts au moment le plus opportun, de concert avec leurs fluctuations hormonales.
Alors qu’à l’ouverture on fait parfois face à des oiseaux bien entourés et réfractaires à bouger (je parle ici de dindons accompagnés de dindes), ce qui est très frustrant il faut l’avouer, le fait de devoir composer avec des oiseaux qui ne semblent s’intéresser à rien est d’autant plus décourageant un peu plus tard en saison et ce, sans parler des périodes durant lesquelles les dindons se montrent vocalement discrets.
Pour les mordus de ces gallinacés, rien de tel qu’un lever du jour où ça glougloute dans tous les sens ! Certains matins, les dindons sont littéralement en feu et s’égosillent à glouglouter pour des riens. Puis, sans raison apparente, le lendemain on les entend à peine sinon pas du tout. Ils sont pourtant bien là, quelque part, mais pas d’humeur volubile cette journée-là. Des recherches scientifiques prouvent hors de tout doute que chaque dindon possède sa propre personnalité. Or, d’autres recherches* ont également démontré que les conditions météorologiques peuvent influencer les pulsions vocales des dindons, même si cette influence est minime sur le comportement des dindes (comme le début de la nidification) et sur l'activité de chasse.
En fin de saison, lorsque les dindons ont beaucoup combattu et que leur testostérone est en chute libre, il faut leur présenter des avenues faciles.
Fait intéressant, les dindons sauvages ont des niveaux de testostérone pulsatiles qui provoquent des fluctuations quotidiennes dans leurs comportements de reproduction, et le glougloutement est d’emblée partiellement influencé par les changements de cette hormone. De plus, chez un dindon donné, les niveaux de testostérone oscillent simplement au fil du temps, produisant des fluctuations prévisibles des vocalises, et de nombreux comportements (comme le glougloutement) se synchronisent ainsi au sein des populations.
Ces fluctuations de comportements de glougloutements sont régies par un ensemble de facteurs complexes en interaction. En d'autres termes, les dindons au sein d'une population locale concordent leurs comportements, de sorte que lorsqu’un pic de glougloutement se produit il est effectif sur de nombreux mâles de la population en simultané, et sinon, quand c'est calme, c'est calme. Dans la « pensée » dindon, la morale de cette histoire est qu'il est logique et de convenance d'avaler lorsque vos concurrents engloutissent et de rester discret lorsque ceux-ci sont silencieux.
Autres temps, autres mœurs et irrégularités…
D’entrée de jeu je faisais brièvement mention de ces oiseaux blasés des appels et des leurres auxquels on doit parfois faire face, et ce, même souvent bien avant la fin de la saison. C’est un fait, la chasse a un impact significatif et parfois radical sur le comportement des dindons sauvages. Du jour au lendemain, certains boisés qui ont été tranquilles pendant des mois sont soudainement pris d’assaut par des bipèdes à l’allure bizarre qui lancent des appels ou même des sons totalement inconnus aux quatre coins de la forêt…
Quelques-uns de ces sons parfois qualifiés « d’imitations » de dindes ne sont pas toujours des plus étoffés, il faut l’admettre, et s’ils peuvent être abrutissants pour les autres chasseurs à proximité, on peut imaginer ce qu’ils peuvent avoir comme impact sur les principaux intéressés qui les perçoivent… Les dindons sauvages vivent en clans, et bien que pour certaines oreilles humaines tous ces oiseaux peuvent avoir la même voix, chaque individu en possède une qui lui est propre et qui est d’ailleurs bien connue par les autres membres du clan et dans le voisinage.
Inévitablement, c’est alors que par un beau matin, dans l’effervescence de la saison de reproduction et aveuglé par les poussées d’hormones, un dindon tombe sous le charme d’une nouvelle voix particulièrement sensuelle, jusqu’au moment d’une fin tragique. D’autres moins futés se font également envoûter par une de ces sérénades moins « soignées » et finissent aussi leur existence dans le coffre arrière d’une voiture. Presque immédiatement, leurs congénères plus perspicaces changent leurs habitudes, tout simplement.
Quand la chasse bat son plein, les oiseaux poursuivent bien sûr leurs affaires habituelles et la vie continue, mais le mot d’ordre pour ces derniers est souvent d’être plus silencieux et d’être encore plus vigilants que de coutume. On serait ainsi porté à dire que ces oiseaux sont devenus «peureux », mais en fait il s’agit d’une simple réaction de survie et d’adaptation à la situation. Ils ne sont pas plus farouches que de coutume, ils évitent simplement ce qui est anormal et non naturel.
Plus la saison avance et plus les changements hormonaux ont leur mot à dire, et un moment donné le tempérament belliqueux des dindons s’estompe ainsi que leur intérêt à procréer. Il devient alors vraiment difficile de les faire venir à l’appel et ils se montrent souvent complètement indifférents envers les appelants, à moins de leur faire entendre exactement ce qu’ils veulent entendre ou de vraiment leur montrer ce qu’ils veulent voir. Si en plus on a affaire à des oiseaux qui résident sur des terres fortement chassées, on retrouve le cocktail parfait pour doublement justifier l’usage de mesures moins ordinaires pour les amener à se commettre. Face à ces oiseaux désabusés dont les hormones sont en chute libre, il faut impérativement sortir des sentiers battus et faire les choses différemment si on veut tirer son épingle du jeu.
Quand on parle de techniques différentes, il faut simplement éviter le déjà vu. Par exemple, si on a affaire à des oiseaux qui vivent en territoire achalandé, il faut de prime abord résister à la tentation d’utiliser les appels les plus usuels, surtout les glapissements de réveil (Tree Yelps), les glapissements d’appel (Lost Yelps) et les glapissements d’accouplement (Breeding Yelps) qui sont les appels les plus utilisés par une majorité de chasseurs. Le fait est que plusieurs amateurs les utilisent à outrance et de toutes les façons possibles, et persister dans ce registre représente la meilleure façon de semer le doute dans la tête d’un oiseau méfiant, fin de saison ou pas. Un peu plus tôt dans cet article, j’aurais pu aussi aborder le sujet des dindons qui ont subi plusieurs affronts par des rivaux, pour au final perdre leurs harems. D’ordre général, ces oiseaux-là sont souvent très difficiles à déjouer. Ayant perdu leur honneur, ils évitent alors les congénères de même sexe ainsi que les regroupements, et tenter de les appeler avec le baratin habituel est un exercice totalement futile. En présence d’un sujet du genre, il faut y aller avec parcimonie dans les appels et éviter le plus possible l’usage d’appelant, sinon une dinde tout au plus.
Sobriété d’usage et finesse
Le déroulement classique d’une sortie habituelle au dindon se résume en général par un chasseur adossé contre un arbre qui lance des sons de réveil (Tree Yelps) et des séries de yelps traditionnels, histoire de personnifier en l’occurrence une dinde inconnue et réceptive perchée non loin de lui au petit matin. Habituellement, cette façon de faire donne de bons résultats, mais en présence d’un dindon blasé de fin de saison, il est d’usage d’éviter d’y aller avec les techniques habituelles qui risquent soit de dévoiler le pot aux roses, soit de n’avoir pas l’effet escompté sur le principal intéressé.
En premier lieu, dans pareille circonstance il est de bon augure de miser sur un langage doux et non intrusif. Mais ici, avant d’émettre des appels au sens propre, j’y vais d’une toute autre manière sonore. Habituellement, après quelques échanges vocaux classiques, à l’aide d’un appeau à diaphragme j’imite le caquetage (Fly-down Cackle) typique d’une dinde qui s’élance de son perchoir vers le sol. Dans le cas qui nous préoccupe présentement, je simule plutôt la scène avec une véritable aile de dinde, sans émettre le caquetage habituel.
Bien posté en retrait pour éviter d’être aperçu, je secoue vigoureusement l’aile en la battant sur ma cuisse, sur le sol et lorsque possible sur des branches près de moi. À distance l’effet est très réaliste pour un dindon qui pourrait se méfier du modus operandi usuel d’un chasseur, et il n’en faut pas plus pour le convaincre qu’une vraie dinde vient de quitter son perchoir. Pour des raisons personnelles, n’étant pas en faveur de la récolte de dindes en automne, pas plus que de celles portant une barbe au printemps, je me suis procuré une véritable aile de dinde sauvage par le biais de la plateforme eBay, dans laquelle il est possible de trouver ce genre d’objet prêt à l’usage pour une cinquantaine de dollars. Sauf pour le fait d’avoir récolté une dinde et d’avoir gardé et traité une aile à cet effet, les ailes de dindons mâles sont trop grosses pour être manipulées efficacement de la sorte, de même que celles de mâles juvéniles, en plus du fait qu’un dindon connaît pertinemment leurs différences sonores respectives. C’est un outil que je considère comme essentiel pour cette quête et qui se traîne aisément dans la poche dorsale d’une veste.
Plus amples détails et conseils
Par ailleurs, pour un maximum d’efficacité et de réalisme, il faut une aile de droite pour un chasseur droitier ou une aile de gauche pour un chasseur gaucher. Cela étant dit, pour poursuivre ensuite dans un registre doux, l’usage de roucoulements et de gloussements est selon moi une des plus efficaces façons de procéder, et aussi un processus essentiel dans une situation qui implique de déjouer des oiseaux méfiants. Souvent, quand je cible ce genre de gallinacé sagace et désabusé, après m’être fait entendre avec cette mise en scène de battements d’aile, je poursuis tout simplement avec une répétition de roucoulements, suivis d’un gloussement simple en continu et à bas volume, avec des grattages vigoureux de la main dans les feuilles mortes au sol pour imiter une dinde sans histoire qui s’alimente. Plusieurs dindons réfractaires se sont fait déjouer par ce scénario des plus simples conjugué avec un peu de patience.
Pour cibler ces volatiles discrets, lorsque cela est possible, au terme de séances d’observation, je m’installe souvent dans les lisères boisées entre leur perchoir et l’endroit où ils sortent à découvert. Si quelque chose les tracasse, ainsi posté il est souvent possible de les intercepter avant qu’ils ne changent d’avis en restant dans la sécurité du couvert.
En milieu d’avant-midi, lorsque qu’aucun oiseau n’a daigné s’approcher à portée de fusil, on peut parfois fructueusement les rencontrer en forêt. Pour cette avenue, la façon de procéder est identique à une séance de chasse active à pied habituelle, tout en appelant de façon sporadique, en autant qu’on reste dans un registre non menaçant. En ce qui me concerne, dans ce cas l’appel de prédilection se veut être le Kee-kee. Dans cette ligne de pensée, je déambule généralement sur les routes gravelées ou le long des chemins forestiers qui séparent des zones boisées connues et qui peuvent habituellement receler des oiseaux. Tout en marchant, aléatoirement je lance des appels dans l’espoir de trouver preneur.
Autre détail important, les dindons de fin de saison évitent souvent les appelants, et pour le chasseur qui tient absolument à en mettre lorsque la situation s’y prête bien, il est important de se servir uniquement de représentations de dinde et non de modèles à l’effigie de leur alter ego quels qu’ils soient. Comme je le mentionnais plus tôt, les oiseaux à ce moment du printemps sont beaucoup moins agressifs qu’ils ne l’étaient au début de la saison de chasse.
Souvent, la présence au loin d’un de leurs congénères factices masculins les effraie ou les empêche d’approcher. Et j’ai même déjà vu des gros Toms rebrousser chemin et regagner la forêt à la simple vue d’un appelant de Jake en posture non menaçante. En fin de saison, lorsque les dindons ont beaucoup combattu et que leur testostérone est en chute libre, il faut leur présenter des avenues faciles, sans contrainte, et surtout rien de vindicatif qui pourrait les décourager.