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SECRETS  D’OUVERTURE  DE SAISON

SECRETS D’OUVERTURE DE SAISON

17 septembre 2024

Jean-François Riverin

L’an dernier, au matin de l’ouverture de la saison de chasse au dindon sauvage, ma fille Léonie et moi étions embusqués dans une campagne de l’Estrie en quête d’un beau spécimen à attirer à portée de fusil. La veille, en fin de journées, nous avions observé un gros mâle entouré de dindes qui faisait la roue dans un chaume de maïs le long d’une lisière boisée et nous avions décidé de tenter notre chance sur ce dernier pour le lendemain. Malheureusement ,même judicieusement postés avec toutes les meilleures intentions du monde, le gros gaillard avait fait fi de mes plus belles imitations au lever du jour, sans parler du fait que la compagnie de dindes qui l’entourait avait mis en échec toute tentative d’évasion de sa part vers notre position…

Alors que nous apercevons le sultan et sa troupe s’éloigner au loin, Léonie, qui commence à avoir froid aux pieds, me demande alors s’il est possible d’aller nous adonner à une séance de chasse active à pied, notre façon préférée de procéder ensemble pour le dindon. J’acquiesce aussitôt à sa demande et eAu début du printemps, alors que la saison de reproduction bat déjà son plein chez les dindons, les poussées d’hormones sont à leur paroxysme, ce qui entraîne de nombreux échanges physiques particulièrement belliqueux pour établir la hiérarchie chez leséponse positive, il faut rapidement évaluer la situationter un versant de colline boisé non loin de notre position de départ.

Tout en marchant avec précaution, les sens en alerte, aléatoirement je produis des séquences de kee-kee suppliantes pour imiter une dinde juvénile esseulée à la recherche de compagnie. L’idée derrière tout ça: obtenir une réponse de la part d’un ou plusieurs dindons qui pourraient déambuler en forêt hors de vue en quête de la gent féminine ,s’embusquer à la hâte et tenter de créer une rencontre fortuite à portée de tir. Mais, après avoir en vain passé au peigne fin quelques parcelles arbustives, pas le moindre signe d’un seul oiseau en vadrouille potentiellement intéressé.

Finalement, au terme d’un détour à l’orée d’une clairière qui juxtapose un petit champ, je lance une tentative sonore avant d’avancer davantage. J’ai à peine terminé ma séquence que quatre glougloutements en canon fusent aussitôt en decrescendo. Je répète l’appel et nous recevons à nouveau les quatre mêmes réponses tonitruantes. À l’oreille, je suis persuadé que les quatre lascars sont de l’autre côté de la petite rivière qui traverse la partie boisée devant nous et je me questionne sur la difficulté de convaincre les volatiles de la traverser pour venir nous rejoindre. À la hâte, je presse Léonie de se mettre à couvert et celle-ci me propose d’emblée de nous installer sous une épinette.

Aussitôt en position sous le conifère, je lance une autre sérénade de kee-kee suivis de caquetages intempestifs. Au terme de 15 minutes de combat verbal avec mes quatre interlocuteurs, durant lequel je passe d’un appel à l’autre dans mon répertoire, ces derniers se montrent finalement le bout du bec à 200 pieds devant nous à travers un écran de branches. Léonie déjà en joue les attend de pied ferme, et alors que je lance une dernière et ultime invitation vocale en catimini, les oiseaux approchent d’un pas nonchalant.

À la recherche de la dinde qu’ils ont entendue, le quatuor de coureurs de jupons à plumes s’avance en continu sans se douter de ce qui les attend. Rendus à 30 pieds devant nous, Léonie laisse partir sa charge de 1 oz de plombs no 4 en jauge 20 sur le plus gros des quatre gaillards qui s’écroule lourdement au sol.

Particularités comportementales

Bon an mal an, d’une ouverture à l’autre, le comportement des dindons peut différer pour diverses raisons, mais ils sont toujours invariablement obnubilés par les dindes. Alors que certains chasseurs plus chanceux postés aux bons endroits bénéficient de l’effet de surprise des premiers matins, au gré de la bonne fortune ou de l’expérience, il n’est pas rare dans d’autres circonstances d’avoir à faire face à des oiseaux évasifs qui ne prêtent guère attention aux plus beaux appels de même qu’aux appelants.

Effectivement, il est toujours possible de les amener à se commettre en misant sur des leurres à l’effigie de mâles dominants pour les provoquer, et cette façon de faire est souvent très efficace. Mais encore là, en début de saison, rien n’est jamais assuré et j’ai souvent été témoin de dindons qui se sauvaient à la simple vue à distance de leur alter ego fictif ou qui s’en éloignaient plutôt que de venir à l’affrontement.

Lors de printemps où les dindes se font rares par endroits, les dindons qui réussissent à rassembler de petits harems peuvent tout aussi bien vouloir éliminer la compétition que l’éviter à tout prix. Dans ce deuxième cas, un oiseau peut certes s’abstenir tout bonnement d’aller à la rencontre d’un rival, mais peut aussi avoir reconnu la supercherie en voyant des appelants ,et c’est notamment le cas de certains oiseaux perspicaces de 3 ou 4 ans.

Je vois d’ici le questionnement de plusieurs lecteurs à cet effet. Effectivement, on pourrait s’interroger sur la chose dans tous les sens, car durant la semaine entourant l’ouverture, les dindons ne peuvent évidemment pas se rappeler les leurres aperçus l’année précédente, et n’ayant pas encore subi de pression de chasse, comment feraient-ils pour s’en méfier aussi tôt dans la saison?… Plusieurs raisons peuvent être en cause, mais la plus plausible provient principalement de leur acuité visuelle. Les oiseaux, et notamment les dindons sauvages, jouissent d’une des plus performantes visions du monde animal.

Chez l’humain, la perception des couleurs repose sur trois types de cônes (bleu ondes courtes, vert ondes moyennes et rouge ondes longues). Cette vision basée sur trois types de photorécepteurs est appelée trichromatique et elle se retrouve chez la plupart des primates. Les autres mammifères quant à eux, disposent d’une vision dichromatique basée sur deux photorécepteurs (bleu ondes courtes et vert ondes moyennes). Les dindons sauvages, véritables télescopes vivants, possèdent une vision tétra chromatique qui repose sur quatre pigments (bleu, rouge, vert et violet), en plus de bénéficier d’une parfaite perception du spectre UV, qui cela dit, n’est pas une couleur en soi.

En comparaison avec les dindons sauvages, nous pourrions presque être qualifiés de daltoniens. Cette acuité visuelle extrêmement efficace capte plusieurs détails qui nous échappent, et notamment, toutes les subtilités du plumage de leurs congénères. L’œil humain ne perçoit en fait qu’une infime partie des couleurs iridescentes de leur livrée. De ce fait, si on compare le plumage d’un oiseau bien vivant en santé à côté d’un appelant, si beau soit-il, si pour l’œil humain les différences sont frappantes, pour un dindon, il y a là toutes les antinomies du monde et plus encore…

Donc à distance, il va sans dire qu’un gallinacé suffisamment sagace est parfaitement capable de reconnaître le vrai du faux et voilà pourquoi certains oiseaux ne se laissent jamais berner par l’objet factice. Oui bien sûr, plusieurs s’y laissent prendre, car sinon, le marché ne serait pas inondé de produits à leur effigie et qui sont, tous modèles confondus, parfois sinon très souvent, efficaces. Il faut cependant comprendre que ce sont le flux d’hormones, la curiosité de même que l’instinct territorial qui les poussent à s’en approcher, et durant la saison de reproduction ces caractéristiques sont d’ailleurs à leur paroxysme.

Ainsi, lorsque je remarque que dans certaines régions les dindons évitent les appelants dès l’ouverture, je considère inutile d’en chercher la raison de midi à quatorze heures et j’évite alors tout simplement de m’en servir. Pour la poursuite de Meleagris gallopavosylvestris, je ne suis pas le plus grand fan de leurres au monde et je réussis habituellement 80 % de mes sorties sans leur présence. Cependant, lorsque je les utilise pour une raison spécifique et que je remarque que les oiseaux en ont peur, je ne tarde pas à les mettre de côté tout simplement, préférant alors opter pour d’autres stratégies plus efficientes à ce moment.

Favoriser les rencontres…

Je mentionnais un peu plus tôt qu’à l’ouverture les dindons peuvent parfois se montrer évasifs, foncièrement discrets, voire extrêmement indépendants vis-à-vis les invitations vocales des chasseurs, et c’est effectivement souvent le cas principalement quand ils sont entourés de dindes qui les empêchent de«réfléchir» à autre chose. Lorsqu’ils ne veulent pas se déplacer, pour réussir

à les déjouer, il faut généralement et simplement se trouver au bon endroit au bon moment pour les surprendre au passage sur leur feuille de route quotidienne, ce qui peut être le fruit du hasard ou d’une stratégie réfléchie en conséquence.

Cependant, en d’autres circonstances, faire face à des oiseaux réfractaires n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi, ou même une impasse pour une sortie de chasse fructueuse. C’est au contraire une excellente motivation pour partir à pied effectuer une séance de prospection et faire de l’appel en mode actif. Dans cette ligne de pensée, il n’est donc pas rare au petit matin qu’un chasseur se bute à un ou plusieurs dindons qui refusent d’avancer à portée de tir. Le cas échéant, rien n’est tout à fait perdu. Il faut simplement les laisser s’éloigner et tenter de leur couper la route ailleurs, tout en travaillant alors avec un autre appeau que celui utilisé en début de journée et en usant d’un répertoire vernaculaire différent.

C’est là une façon de faire qui fonctionne souvent très bien, dont le but est d’essayer de faire croire à notre oiseau vedette qu’une autre dinde requiert ses services de reproducteur. À l’occasion, pour une raison ou pour une autre, les dindons peuvent faire la sourde oreille à certaines tonalités d’appeaux, puis soudainement et sans raison spécifique, littéralement tomber en pamoison pour une autre voix qui les interpelle davantage.

D’UNE OUVERTURE À L’AUTRE, LE COMPORTEMENT DES DINDONS PEUT DIFFÉRER POUR DIVERSES RAISONS, MAIS ILS SONT TOUJOURS INVARIABLEMENT OBNUBILÉS PAR LES DINDES.

Peu importe la situation, de toute façon il vaut la peine de maîtriser plusieurs appeaux, histoire d’avoir plus d’un as dans notre manche. Parlant d’appeaux différents, pour les non-initiés il existe un modèle particulièrement intéressant mais très peu connu chez nous, et pas nécessairement le plus populaire au pays de l’oncle Sam non plus, malgré sa notoriété et qu’il soit plus usuel qu’ici. J’ai nommé la trompette, ce petit instrument dérivé du Wing Bone Yelper qui ressemble à une flûte et tire sa technique d’usage du même principe, c’est-à-dire aspirer l’air de son embout tout en pinçant les lèvres pour en tirer des sons de dinde naturels. La façon de faire n’est pas très difficile et dans des mains habituées, on peut en tirer des imitations très réalistes qui se démarquent de celles émises par des appeaux plus conventionnels et qui peuvent faire parfois toute la différence au moment opportun.

Ceci étant dit, pour poursuivre ce que je disais avant de bifurquer sur le sujet de la trompette, dans d’autres situations, parfois rien n’y fait et tenter d’intercepter les dindons plus loin est impossible pour diverses raisons. C’est là qu’une séance de chasse à pied s’impose et prend tout son sens. Dans ce cas précis, il vaut mieux laisser tomber le premier sujet et justement aller voir ailleurs, histoire de trouver un oiseau réceptif en arpentant les zones boisées et les lisières, tout en appelant de façon sporadique. 

La méthode est fort simple et consiste simplement à déambuler en forêt à la recherche d’oiseaux réceptifs et dès qu’on obtient une réponse positive, il faut rapidement évaluer la situation et s’embusquer à la hâte pour tenter de conclure la transaction. C’est une technique qui n’est pas monotone, tout en étant souvent productive, comme le démontre le récit de mon entrée en matière. C’est d’ailleurs ainsi que je récolte 90% de mes dindons en province et ailleurs en Amérique du Nord. En parcourant du terrain, on finit toujours invariablement par trouver des oiseaux preneurs, et qui plus est, cette façon de faire ne nécessite pas d’équipements particuliers hormis une veste à dindon bien garnie d’appeaux et de bonnes bottes de marche. Ici, un fusil léger est un atout indéniable et un 20, entre autres, peut faire un excellent travail. Cependant pour le reste, je recommande ici de ne pas lésiner sur la qualité du camouflage personnel.

Ce genre d’exercice requiert parfois de la part du chasseur de devoir se mettre à l’affût rapidement à la suite d’une réponse soudaine à proximité, et dans ce cas précis, selon la topographie du terrain il n’est pas toujours facile de trouver le couvert idéal pour s’embusquer ou encore d’avoir l’arbre parfait pour briser adéquatement notre silhouette. L’usage d’un ensemble de camouflage de type feuillage prend ici tout son sens et c’est celui que je privilégie, sans parler de la nécessité que les gants, le couvre-chef et les autres accessoires s’agencent avec le couvert de saison.

Quand les esprits s’échauffent

Au début du printemps, alors que la saison de reproduction bat déjà son plein chez les dindons, les poussées d’hormones sont à leur paroxysme, ce qui entraîne de nombreux échanges physiques particulièrement belliqueux pour établir la hiérarchie chez les femelles comme pour les mâles vis-à-vis de leurs congénères de même sexe. Du côté des dindes, n’entre pas qui veut bien dans un clan et les vieilles femelles peuvent faire amèrement regretter à une de leurs semblables de s’être présentée au mauvais moment ou d’avoir eu l’aberrante idée de convoiter un dindon en particulier.

Pour les mâles, l’urgence de procréer et de transmettre leurs gènes est une préoccupation de premier ordre et les combats sanglants entre protagonistes font partie du quotidien. En général, les dindons sauvages sont des oiseaux très territoriaux parmi lesquels les altercations diverses sont monnaie courante l’année durant. Mais tôt au printemps, les Toms sont habituellement prédisposés à vouloir éliminer coûte que coûte la concurrence qui pourrait s’intéresser à leurs dindes...

Or donc, durant une de ces séances de chasse active à pied, il arrive fréquemment de dénicher des oiseaux volubiles qui s’entêtent à répondre, mais sans pour autant vouloir s’approcher ou se dévoiler à portée de tir. Ces situations frustrantes sont pourtant fréquentes et pour faire tourner la chance du bon côté, rien de tel qu’une simulation de combat entre jakes. Pour un dindon adulte, le fait d’entendre des mâles immatures se disputer violemment est un signe possible de jeunots gonflés à bloc qui essaient d’impressionner des dindes, ses dindes à lui en l’occurrence!

Donc, en entendant une simulation factice du genre, un oiseau qui répond sans cesse aux imitations de dinde reproduites par un chasseur sans pour autant vouloir investiguer pourrait très bien changer d’idée subitement et accourir pour remettre les pendules à l’heure parmi les pugilistes. Pour imite run combat de jakes, le chasseur doit d’abord et avant tout maîtriser le diaphragme pour mimer les fameux roucoulements de combat (fightingpurrs) produits en canon par deux oiseaux. Ensuite, il est idéal de compléter la mise en scène sonore avec des simulacres de coups d’ailes.

Quand on a la chance d’assister à un combat de jakes ou de dindons, on constate très vite qu’ils ne rigolent pas du tout et que les coups sont bien réels et violents. À distance, le son produit par les frappements d’ailes entre belligérants rappelle des coups de bâton sur une boîte de carton. Pour les reproduire, on peut frapper sur nos pantalons avec une petite branche, mais l’exercice devient vite douloureux et la sonorité n’est pas toujours réaliste selon la nature du tissu. Voilà pourquoi je traîne toujours une pièce de carton épais dans la poche dorsale de ma veste pour cet usage. La technique est fort simple et tout en reproduisant les roucoulements de combat, il s’agit seulement de frapper la pièce de carton, tout en restant vigilant car un dindon peut fort bien arriver en courant…





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