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DÉMYSTIFIER LA CHASSE PRINTANIÈRE

DÉMYSTIFIER LA CHASSE PRINTANIÈRE

18 septembre 2024

Benoît Gendreau

BERTHIER-SUR-MER

Le 8 mai 2012, 2 h 30. Le réveille-matin sonne, et aussitôt levé je m’empresse de réveiller mon ami Yanick, de Mont-Laurier, qui a parcouru tout ce trajet pour se réconcilier avec la grande dame blanche. Pendant que le café se prépare, il me demande quel est mon « feeling » pour la journée. Tout en lui cachant mon inquiétude face aux résultats, je mentionne qu’il ne vente pas et que le nombre d’oies dans le secteur est relativement faible. Leurs déplacements sont réguliers, ce qui va nous aider, et le ciel est couvert. À ce moment-là, je ne me doutais pas que j’allais vivre l’une des chasses à l’oie les plus mémorables de ma vie! Je suis biologiste de formation et je chasse les oies au champ depuis près de vingt ans. Dans cet article, je vais vous présenter quelques techniques qui, je l’espère, vous aideront à améliorer vos succès de chasse printaniers.

COMPORTEMENTS ET CORRIDORS MIGRATOIRES DIFFÉRENTS

Au Québec, nous avons la chance de voir défiler l’oie des neiges deux fois par année. Il faut savoir qu’il existe d’importantes différences saisonnières dans le comportement de ce magnifique oiseau. Le chasseur doit absolument considérer ces disparités en planifiant une sortie de chasse printanière. La migration automnale des oies s’amorce dans l’Arctique au début dumois de septembre, et ce n’est que dans la première semaine d’octobre qu’elles atteignent la vallée du Saint- Laurent. À partir de ce moment, elles n’ont plus besoin de se dépêcher pour poursuivre leur périple. Pour les jeunes oies, la partie la plus difficile de leur première migration est complétée. Âgées d’à peine 8 semaines, elles viennent d’effectuer un vol d’environ 1700 km. À mesure que la saison progresse, elles se déplacent vers leur lieu d’hivernage au rythme de la disponibilité de la nourriture, de la pression de chasse et de l’arrivée de l’hiver. Les voies migratoires empruntées diffèrent un peu de celles parcourues au printemps. À l’automne, les oies s’aventurent plus loin à l’intérieur des terres et utilisent comme dortoirs une série de plans d’eau situés au pied des Appalaches. Par contre, lorsqu’elles arrivent au Québec en mars, ces plans d’eau sont encore gelés, ce qui les oblige à suivre une route différente. Le seul plan d’eau libre disponible est le fleuve Saint-Laurent, si bien qu’elles vont se tenir près de ce dernier en utilisant des secteurs d’alimentation à proximité. Leurs déplacements printaniers vers le nord sont guidés par la fonte de la neige. Un printemps hâtif les mènera à survoler rapidement la Montérégie et le Centre-du- Québec pour atteindre l’estuaire moyen du fleuve Saint-Laurent situé à l’est de la ville de Québec. C’est dans cette région qu’elles vont refaire leur réserve de graisse, requise par la poursuite de leur périple. Elles y passent assez de temps pour adopter des comportements réguliers d’alimentation au champ. De plus, en mai, la neige qui recouvre encore l’Arctique freine leur migration.

PÉRIODES IDÉALES POUR LA CHASSE PRINTANIÈRE

Depuis quelques années, l’ouverture de la chasse printanière a lieu le 1er mars dans les districts fédéraux C à F du Québec. En début de saison, les résultats de chasse aux appelants ne sont pas réguliers. Ces piètres performances s’expliquent en partie par le fait que les oies sont en constante migration afin de suivre la ligne de fonte de la neige. De plus, le maïs, principale source de nourriture disponible, est éparpillé sur de vastes surfaces, ce qui force les oies à parcourir de grandes distances pour s’en procurer. Également, la quantité de nourriture dans un champ de maïs est limitée, alors les oiseaux ont vite fait de le vider de son contenu et doivent alors changer de secteur. Depuis quelques années, j’entame rarement ma saison de chasse printanière avant que les plantes fourragères commencent à pousser. Leur croissance débute vers le 20 avril dans le secteur de Montréal et 10 jours plus tard à l’est de la ville de Québec. Ce type de champ contient assez de nourriture pour que les oies s’y alimentent pendant quelques jours, procurant de belles occasions aux chasseurs. À la fin du mois d’avril, les oies se retrouvent principalement dans des régions où les champs de foin dominent encore le paysage. Elles ont moins de distance à parcourir pour trouver un secteur d’alimentation de qualité, ce qui facilite le travail de repérage. Un autre élément qui favorise les résultats à cette période est l’absence de gelées matinales.

FACTEURS INFLUANT SUR LES RÉSULTATS

Après ces précisions sur les facteurs qui guident les oies dans leurs déplacements, voyons des techniques de chasse qui permettent d’améliorer les chances de succès.

ÉQUIPEMENT

À juste titre, l’équipement que nécessite la chasse à l’oie décourage souvent les nouveaux adeptes. À l’automne, quand la pression de chasse est forte, il peut être utile d’employer une installation impressionnante pouvant atteindre plus de 700 appelants. C’est cette quantité considérable qui permet aux chasseurs de se démarquer des autres et d’attirer l’attention des oies sur de longues distances. Au printemps, il faut modifier l’approche et miser sur la qualité plutôt que sur la quantité. Il est certain qu’une installation de 500 appelants de type plein corps et coquilles ne nuira pas, mais elle demande plus de travail. Par contre, si on possède 100 appelants plein corps/coquilles et 300 leurres-sacs (sillosocks/windsocks)1, il vaut mieux utiliser seulement les premiers. Il faut garder en mémoire que les oies sont bien éduquées au printemps. En général, l’appeau électronique complète l’installation. Le désavantage est que les chasseurs utilisent les mêmes quelques rares pistes sonores disponibles. Après plusieurs mois, les oies les associent aux chasseurs, et la moindre fausse note peut leur faire rebrousser chemin. Pour être efficace, il faut ajuster le volume au fur et à mesure que les oies approchent, et il est parfois pertinent de l’éteindre, surtout en absence de vent. Un autre élément à ne pas négliger est le camouflage. Cet aspect de la chasse printanière est un défi permanent, parce que les accumulations de neige ont complètement écrasé la végétation. De plus, il existe peu de matériel de camouflage du commerce bien adapté aux champs verts. Pour mieux se dissimuler, il faut se servir des dépressions naturelles, limiter ses mouvements et même réduire le nombre de chasseurs. Pour conclure au sujet de l’équipement, il existe de plus en plus de gadgets sur le marché pour attirer les oiseaux. À l’automne, certains peuvent convaincre un nombre intéressant d’oies juvéniles, mais au printemps il est préférable de remiser ce type de matériel. Moins il y aura d’éléments susceptibles de les distraire, plus elles se laisseront guider par une installation réaliste.

CONDITIONS CLIMATIQUES

Les conditions climatiques constituent certainement un des éléments qui influent le plus sur les résultats. Malheureusement, on n’y peut rien, mais on a toujours la liberté de rester à la maison si elles ne sont pas propices! Un bon vent constant et un couvert nuageux sans précipitation représentent des conditions idéales. Cependant, un vent trop fort pourrait nuire à l’attrait des appelants en les faisant bouger exagérément et en provoquant des sons non naturels. Dans ce cas, il est important de bien les fixer, le bec face au vent, et d’augmenter légèrement le volume de l’appeau électronique.

PROSPECTION ET PRESSION DE CHASSE

Les sauvaginiers savent que le résultat d’une chasse est étroitement lié à l’effort déployé afin de trouver un secteur intéressant, ce qu’on appelle prospecter. De façon générale, on recherche un champ où les oiseaux s’alimentent, communément nommé un « X ». Quand la croissance des plantes est débutée, rien ne sert de courir pour dénicher le X tant convoité. À cette période, les oies sont constamment dérangées par des ouvriers agricoles, des effaroucheurs ou des chasseurs à l’approche, avec comme conséquence qu’elles se déplacent beaucoup en quelques heures. En général, ces mouvements s’effectuent sur de courtes distances. Assez rapidement, les oies fréquentent donc plusieurs champs, mais souvent situés dans le même secteur. Lors de la prospection, il faut repérer ces zones d’alimentation, pas seulement un champ. L’idéal est de trouver et contacter le propriétaire du champ situé au centre de la zone. S’il n’est pas possible d’y avoir accès, il faut choisir celui que les oies verront en premier en provenance du dortoir principal, ou celui situé en aval du vent. La pression exercée par une chasse intensive pousse les oies à voler en gros groupes, rendant difficile la chasse aux appelants. Comme en témoignent les chiffres fournis par le Service canadien de la faune, à l’automne on compte environ 29000 sauvaginiers, comparativement à seulement 3000 au printemps. Ainsi, pendant la saison automnale, les oies rencontrent régulièrement des installations d’appelants en se déplaçant, ce qui accroît leur méfiance. Au printemps, elles peuvent passer quelques jours sans en voir une! C’est aux chasseurs de tirer profit de cette fenêtre. De plus, avec une chasse uniquement permise sur les terres agricoles, les dortoirs sont aussi beaucoup plus stables.

ERREURS À ÉVITER

TIRER SUR LES GROS GROUPES


Comme mentionné, au printemps les oies changent de champ plusieurs fois au cours d’une matinée. Lors d’une chasse printanière, il y a de fortes probabilités qu’une imposante volée d’oies survole vos appelants après s’être fait déranger. Pour plusieurs raisons, il faut éviter de faire feu sur ces groupes. Premièrement, par respect pour le gibier, parce que ce type de tirs fait beaucoup de blessées. Deuxièmement, par respect pour les autres chasseurs des environs, car le nombre d’oies qu’on éduque en tirant sur ces groupes fait en sorte que ce secteur sera « brûlé » pour quelques jours. Troisièmement, si elles ne sont pas tirées, elles vont revenir en petites bandes et permettre aux chasseurs patients de compléter leur chasse.


PROJET PILOTE DANS LA RÉGION DE MONTMAGNY

Un nouveau projet pilote de gestion intégrée des oies est en cours de réalisation dans la région de Montmagny. Un de ses objectifs est d’expérimenter et de développer des outils permettant de réduire les dommages causés par les oies, tout en favorisant leur mise en valeur par des activités de chasse et d’observation. Les municipalités touchées par ce projet sont Montmagny, Berthier-sur-Mer, St-Pierre et St-François-de-la-rivière-du-Sud. Dans le cadre de ce projet, plusieurs actions visent à favoriser la pratique de la chasse printanière à l’oie. La diffusion du nombre d’oies présentes dans les dortoirs de la région et des interventions des effaroucheurs se fait par le biais d’un blogue. Au printemps 2013, un programme sera en place pour faciliter l’accès des chasseurs aux terres agricoles. Pour obtenir plus de renseignements et pour consulter le blogue, allez au www.migrationdesoies.ca. Vous pouvez aussi contacter le coordonnateur du projet à bgendreau@montmagny.com ou au 418 248- 5985 poste 355. Un tel projet est rendu possible grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada, agissant par l’entremise du ministère de l’Environnement et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada via le Programme canadien d’adaptation agricole. Au Québec, la part de ce programme destinée au secteur de la production agricole est gérée par le Conseil pour le développement de l’agriculture du Québec. La Fédération de l’UPA de la Côte-du-Sud, la MRC de Montmagny et la ville de Montmagny participent également au projet.


MAUVAISE INTERPRÉTATION DES DÉPLACEMENTS

L’interprétation et l’analyse du comportement des oies pour trouver le champ idéal n’est pas une mince tâche. On ne veut surtout pas qu’elles changent de secteur la journée où on s’installe. L’histoire suivante, survenue en mai 2011, illustre bien ce risque. Un imposant groupe d’oies fréquentait assidûment un secteur difficile d’accès, et après plusieurs discussions avec mes coéquipiers, nous avions convenu de franchir à pied les 1500 m nous séparant du site. La journée précédant notre chasse, une partie des oiseaux s’était déplacé quelques kilomètres plus bas sur le corridor de vol. À ce moment, nous nous étions dit qu’il en restait assez pour s’amuser. Le matin de notre chasse, nous avons constaté avec stupéfaction que toutes les oies se dirigeaient vers le nouveau secteur. Morale de l’histoire, il faut faire attention lorsqu’une partie du groupe d’oies convoité change de champ, surtout si ce dernier se situe entre le chasseur et le dortoir.


MAL ABORDER UN PROPRIÉTAIRE

Aborder de la bonne façon le propriétaire des terres convoitées est essentiel. C’est d’autant plus vrai au printemps, parce que le sol est instable après le dégel récent. Le propriétaire hésite souvent à donner l’accès à des inconnus, craignant des dommages, alors il faut le rassurer pour le convaincre. Avant de frapper à différentes portes pour trouver le propriétaire, il faut tenir compte de l’heure, car au printemps les oies arrivent beaucoup plus tôt dans les champs qu’à l’automne. Il faut également éviter de se présenter en habit de chasse, car il est possible de rencontrer des gens qui n’aiment pas l’activité. En habit de ville, on n’a pas à se justifier inutilement. Finalement, lorsque vous avez trouvé le propriétaire, demandez-lui gentiment s’il autorise la chasse sur ses terres. Définissez clairement avec lui les points suivants : le chemin et les moyens d’accès, le stationnement, l’heure de votre arrivée, surtout si vous passez près des bâtiments, ainsi que l’absence ou la présence d’autres chasseurs à l’œuvre sur ses terres. Une discussion d’une quinzaine de minutes dissipe les ambiguïtés et permet d’établir une relation durable. Offrez-lui aussi d’aller faire décoller immédiatement les oies pour qu’elles ne causent pas davantage de dommages. En développant une bonne relation avec lui au printemps, il est souvent plus facile d’avoir accès à ses champs une fois l’automne venu alors que les chasseurs sont nombreux.


CONCLUSION HEUREUSE

Pour terminer, voici le dénouement de cette journée de chasse mentionnée en introduction. Yanick, chasseur de gros gibier dans l’âme, a même subi le «goose fever » quand une trentaine d’oies silencieuses ont fait trois tours avant que l’on fasse feu à moins de 50 pi, récoltant chacun un triplé! En début d’après-midi, je me suis retenu de faire feu sur un groupe d’environ 5000 oies posées partout autour des appelants. Après leur départ, elles sont revenues par petits groupes, nous permettant de compléter notre tableau. Si je peux me permettre un dernier conseil, n’ayez pas peur de sortir au printemps, surtout en mai. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de voir une volée d'oiseaux matures approcher à moins de 50 pi des appelants! Ajoutons qu’il faut faire attention de ne pas gaspiller de gibier quand la température est chaude. En conclusion, il n’y a pas de recette infaillible à l’oie, mais ne pas l’essayer signifie se priver d’une période de plus pour pratiquer cette belle activité.



















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