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SITUATION SUR L’ÉTAT  DES POPULATIONS  AU QUÉBEC

SITUATION SUR L’ÉTAT DES POPULATIONS AU QUÉBEC

18 septembre 2024

Sylvain Lessard

LES MESURES RESTRICTIVES VISENT À CONTRER
UNE TENDANCE À LA BAISSE DES POPULATIONS

DE NOS BERNACHES MIGRATRICES.

Lorsque les autorités ont restreint les prises quotidiennes de bernaches du Canada à l’automne 2020, plusieurs chasseurs ne s’attendaient pas à une telle mesure et furent pris par surprise. Déjà que la limite permise par jour était de cinq bernaches depuis de nombreuses années, ce qui semblait loin d’être exagéré selon plusieurs, voilà donc que la limite par jour est diminuée à trois, voire deux en fonction de l’endroit où l’on chasse. De plus, cette mesure est en vigueur seulement lorsque les oiseaux sont en migration, soit au mois d’octobre.

La surprise fut totale, tant de la part des chasseurs que des guides de chasse. D’ailleurs, ceux-ci redoutaient avoir moins de clients désireux de réserver leurs services, car pour deux ou trois oiseaux seulement, l’investissement d’une chasse avec guide perd de son attrait. Bref, c’est un mélange de surprise et d’incompréhension qui s’est installé dans le monde des sauvaginiers.

Peu de chasseurs sont au fait des études et des tendances en regard de la dynamique de la population des oiseaux migrateurs. Ajoutons à cela que des bernaches sont observées en quantité un peu partout dans le Québec méridional et que la perception des gens, chasseurs ou pas, est que cette espèce, sans dire abondante, est commune et bien répandue.

Mais qu’en est-il vraiment? Les bernaches sont-elles réellement abondantes? Où en sommes-nous dans la connaissance de cette espèce?..

État des connaissances

Bien qu’une bernache du Canada ne ressemble à rien d’autre, derrière ce grand oiseau se cachent des subtilités insoupçonnées. Entre autres, trois populations distinctes se partagent notre territoire provincial. Certaines bernaches se reproduisent dans le nord (nous les observons annuellement dans leur migration) et certaines se reproduisent dans les zones tempérées, soit plus au sud.

Population du nord de l’Atlantique (PNA)

Cette bernache occupe principalement la province de Terre-Neuve-et Labrador et la région de la Côte-Nord du Québec. C’est aussi la bernache que l’on observe à l’île Anticosti. Depuis le début des années 1990, on surveille ses effectifs et ceux-ci sont relativement stables. Cette petite population est estimée à près de 130 000 bernaches et fait la joie des chasseurs des Maritimes et de la Côte Est.

Population de l’Atlantique (PA)

C’est la population de bernaches que l’on chasse lors de sa migration. L’histoire de la dynamique de cette population nous enseigne qu’elle a fluctué énormément au fil des années et continue de baie d’Ungava et à l’est de la baie d’Hudson, ce qui représente le territoire de 80 % des bernaches de l’Atlantique nicheuses.

En 1970, ses effectifs étaient estimés à un million d’individus, et à cette époque la chasse était plus permissive car l’espèce était abondante. Elle a subi un déclin marqué au tournant des années 1980-1990, ce qui a incité les autorités à commencer des relevés (1988) afinde mieux comprendre les fluctuations de cette population particulière de bernaches. Déjà, en 1993, avec 91 300 couples nicheurs estimés, on observait une baisse de 23 % du nombre de bernaches par rapport à 1988. Ce déclin se poursuit jusqu’en 1995 avec un inventaire historiquement bas de 29 300 couples nicheurs, forçant la fermeture complète de la chasse jusqu’en 1999.

Ensuite, le gouvernement fédéral nous a permis de la chasser, mais de façon très progressive. À titre d’exemple, mentionnons seulement que nous avions droit de faire feu sur ces oiseaux seulement lorsqu’ils étaient au champ avec un minimum d’une douzaine d’appelants. Quoi qu’il en soit, elle a subi un rétablissement rapide et sa population s’est stabilisée depuis 2002. Mais, comble de malheur, depuis 2010, le taux de survie des adultes diminue et les prises d’adultes et de jeunes par les chasseurs ont augmenté. Face à ce constat, les autorités ont observé et documenté une baisse des effectifs de la population de l’Atlantique entraînant les mesures qui ont été mises en vigueur à l’automne 2020.

Population de bernaches du Canada se reproduisant en zone tempérée

C’est la nouvelle appellation que les autorités fédérales ont donnée à la bernache «résidente». L’état des connaissances sur cette bernache a progressé énormément ces dernières années et le retour des bagues, colliers et émetteurs retrouvés sur les oiseaux abattus par les chasseurs nous a renseignés sur une multitude de choses.

Ces oiseaux effectuent également des migrations, mais un peu différentes des autres populations, étant donné qu’elles ne nichent pas au nord. Dès le mois de mai et au début de juin, les oiseaux juvéniles issus de la ponte printanière ainsi que des individus non reproducteurs volent vers le nord pour aller y passer le reste de l’été et en profiter pour muer et ainsi changer de plumes. Lorsque l’hiver est à nos portes, cette population ne se gêne pas pour migrer vers le sud à la recherche de plans d’eau libre de glace ainsi que de nourriture qui n’est pas recouverte de neige. De par nos pratiques agricoles, cette bernache est en croissance partout au Canada et aux États-Unis. Pour en ajouter, durant la période estivale les bernaches américaines n’hésitent pas à monter au nord, soit ici au Québec, venant alors augmenter le nombre de nos bernaches.

Objectifs des populations et réalité

Pour la population du nord de l’Atlantique, celle-ci est stable et constante et ne nécessite pas plus de notre attention. Pour la population de bernaches se reproduisant en zone tempérée, les objectifs au Québec sont de 2000 à 3000 couples nicheurs afin d’empêcher les conflits avec les humains dans les parcs et dans les zones habitées. Cependant, ce sont 11 000 couples nicheurs qui sont présentement évalués sur notre terrioire, un nombre éloigné de l’objectif et qui démontre son abondance... J’ouvre une parenthèse pour quand même attirer votre attention sur la même population qui évolue dans d’autres provinces. En Ontario, l’objectif est de 40 000 couples nicheurs et ils en ont 87 800! Plus à l’ouest, l’objectif de la population de bernaches «résidentes» dans les prairies canadiennes se situe entre 400 000 et 500 000, et la réalité est de... 1 200 000 bernaches sur le territoire. Quand on se compare, on se console!

La chasse, un outil de contrôle

Nous savons maintenant que la chasse est un outil fort utile pour diminuer une population d’oiseaux devenue surabondante, l’exemple de la grande oie des neiges est là pour le prouver. Il serait donc aisé de pratiquer cette même approche face à la bernache. Cependant, il y a du sable dans ce bel engrenage qui nous provient, vous l’aurez deviné, de la population de bernaches de l’Atlantique.

À la lumière de nos connaissances, cette population se divise en deux territoires de reproduction différents. Les oiseaux qui nichent dans le Grand Nord, soit la toundra et la taïga, ont maintenu une moyenne de 185 000 couples nicheurs sur une période de 10 ans. Malheureusement, c’est insuffisant et ça ne correspond pas à l’objectif de gestion de 225 000 couples nicheurs. Malgré cette baisse, nous serions tentés de conclure qu’il n’y a pas un si grand écart entre la moyenne du nombre de couples nicheurs et l’objectif du Ministère. Mais voilà que l’on apprend que l’autre partie de cette population de bernaches niche au sud de la forêt boréale. Celle-ci est en situation problématique et est bien en-deçà de la moyenne sur 10 ans de 23 400 couples nicheurs proposés par le Service canadien de la faune. Elle est présentement estimée à 13 550 couples nicheurs et la tendance demeure à la baisse. Les autorités ont calculé une baisse constante de plus de 3 % pour les cinq dernières années et un déclin marqué à plus long terme de près de 4 % depuis 2002.

C’est donc pour cette raison que le Québec, l’Ontario et les États-Unis ont adopté des mesures réglementaires pour restreindre la chasse, afin d’assurer le maintien de cette population et surtout éviter la fermeture complète des saisons de chasse.

Ces mesures de protection annoncées en 2020 visent à protéger, en octobre, les bernaches qui nichent dans le nord du Québec et qui migrent au-dessus de nos territoires de chasse à l’automne. Garant du succès des mesures de protection de la fin des années 1990,avec la fermeture de la chasse, le gouvernement fédéral souhaite être en mesure de rétablir cette population en contrôlant la pression de chasse par la diminution des prises quotidiennes, tout en libéralisant et favorisant d’un autre côté la chasse à la bernache qui se reproduit en zone tempérée.

Ce tour de force est rendu possible en ajustant les dates du calendrier de chasse selon le passage des oiseaux au-dessus de notre province. Les bernaches résidentes sont immanquablement présentes dès le début de septembre tout en s’alimentant régulièrement dans les champs. La chasse est plus permissive durant cette période avec une limite de prise quotidienne qui peut atteindre 10 oiseaux (voir tableau en aparté).

À la fin du mois de septembre, lorsque les migratrices de la population de l’Atlantique seront de passage, la réglementation s’ajustera pour diminuer la pression de chasse sur ces individus. À ce moment, la limite de prise sera de trois oiseaux par jour, ou deux selon votre secteur de chasse. Par la suite, tout reviendra à la normale, avec une limite quotidienne de cinq bernaches par jour à récolter dès le 1er novembre pour toutes les zones.

Cette gymnastique est quand même intelligente et réfléchie. Pourquoi ne pas faire cet effort, somme toute négligeable, afin de préserver cette population de bernaches au lieu de risquer de voir fermer complètement cette chasse au nom de notre incapacité à faire les distinctions entre les populations? Les recherches nous aident maintenant à bien gérer une espèce, emboîtons le pas pour quelques années et la nature fera le reste.

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